NINE INCH NAILS

LE RETOUR DU MESSIE

CEUX QUI, UN BEAU JOUR DE MAI 1994, ETAIENT AU BATACLAN POUR ASSISTER A LA PRESTATION SCENIQUE DE NINE INCH NAILS EN SONT TOUJOURS MEURTRIS : LA RETRANSCRIPTION LIVE DE DE LA SOPHISTICATION DES ALBUMS PRETTY HATE MACHINE ET THE DOWNWARD SPIRAL FUT LE PARADIGME DE LA BRUTALITE MAITRISEE, DE L’AGRESSIVITE VISCERALE, ET PLUS SIMPLEMENT, DE LA PERFECTION MUSICALE. NOU SOMMES AUJOURD’HUI EN 1999, ET LE NOUVEL ALBUM DE NIN/TRENT REZNOR, THE FRAGILE, EST ENFIN DANS LES BACS, APRES PRESQUE CINQ ANS D’UNE ATTENTE FEBRILE TOUT AUTOUR DU MONDE, ET EN PARTICULIER AUX ETATS-UNIS (229 000 EXEMPLAIRES VENDUS LORS DE LA PREMIERE SEMAINE, ENTREE DIRECTEMENT N°1 AU BILLBOARD). C’EST DONC AVEC UNE CERTAINE FIERTE – ET UNE GROSSE APPREHENSION – QUE NOUS SOMMES RESTES PLANTE DEVANT NOTRE TELEPHONE EN CE MORNE VENDREDI 24 SEPTEMBRE, ATTENDANT LE COUP DE FIL DE TRENT REZNOR, LE SEUL A CE JOUR QU’IL AIT PASSE A UN MAGASINE FRANÇAIS DE ROCK DANS LE CADRE DE LA PROMOTION DE THE FRAGILE.

Trent Reznor a figuré en 1998 en couverture du magasine américain Time, faisant partie, selon la rédaction de cette institution de la presse, des 25 musiciens les plus influents du monde. Depuis 1989 et l’électro-rageur Pretty Hate Machine, et surtout avec son avénement artistique en 1994 grâce à The Downward Spiral (Kerrang ! écrivait à l’époque : " C’est officiel : Trent Reznor est Dieu "), le musicien est considéré – à juste titre – comme un génie.Artiste consensuel qui a relancé la carrière de David Bowie en collaborant avec lui sur l’album Outside en 1995, il a révélé au monde Marilyn manson et a grandement participé à la réalisation artistique du révérend en produisant tout ces LPs et Eps à l’exception de Mechanical Animals (pour rire un bon coup, il faut se référer à la vidéo de NIN, Closure, dans laquelle Marilyn Manson apparaît comme un gamin ridicule en extase devant le maître), Reznor a égalment donné un sacré coup de pouce à Rob Halford en coproduisant le mésestimé mais pourtant extraordinaire album Voyeurs de Two (1998). Ce touche à tout génial s’est également fait remarquer dans l’illustration sonore de jeux vidéos (la bande son glauquissime du Doom-like Quake) et dans la supervision magistrale de deux bandes originales de films : le controversé Tueurs Nés et l’imbitable Lost Highway. Le public de Nine Inch Nails est difficilement définissable : du yuppie au corbeau gothique, du journaliste du Monde au rédacteur de l’ultratendy Alternative Press… en passant par le headbanger, tout le monde aime Nine Inch Nails. Et à l’instar de Marillion dans les années quatre-vingt, Nine Inch Nails ne fait pas du heavy-metal, loin de là, mais ce sont les hardos qui ont été les premiers à remarquer la pertinence de l’artiste. Alors que le grandiose The Fragile est aujourd’hui en vente chez tous les bons disquaires (et même chez les mauvais, nous pouvons le parier), nous avons eu la chance de décrocher un court entretien téléphonique (vingt minutes) avec l’artiste le plus convoité de la décennie. En voici la retranscription intégrale.

Hard-Rock : Comment se sent-on après avoir sorti l’album le plus attendu de la décennie ?
Trent Reznor
 : (rires) Je me sens très bien en ce moment. Le disque est fini et j’apprécie d’entendre de bons commentaires à son sujet après avoir travaillé plusieurs années dans l’espace confiné d’un studio, sans que personne ne m’ait donné son avis. Je me sens bien et je suis très fier de ce disque.

Pendant toutes ces années, j’imagine que tu as dû ressentir une énorme pression…
Une pression externe, oui, mais surtout la pression que je me suis moi-même imposée… Après avoir fini The Downward Spiral, j’ai passé deux sur la route pour promouvoir ce disque. A la fin j’étais cassé et je me suis tout de suite mis à la production du disque de Manson (NDLR : Antichrist Superstar). Après, il a fallu que je me mette au travail, mais je n’étais pas vraiment dans le bon état d’esprit pour commencer à bosser sur un nouvel album de NIN. Je me suis donc mis à superviser des bandes originales de films (NDLR : Tueurs Nés et Lost Highway) juste pour passer un peu de temps et pour me retrouver moi-même. Le processus d’écriture de The Fragile a été une sorte d’autoréparation : je suis entré en studio, j’ai fermé les portes et je me suis mis au travail. Avec Alan Moulder, avec qui je collabore, nous nous sommes rendus compte que ce disque allait nous prendre beaucoup de temps. Pas parce que j’affrontais l’angoisse de la page blanche, mais parce qu’il me fallait avoir le courage et la volonté de m’asseoir pour déclencher le processus de travail. Une fois qu’on s’est lancés, on ne s’est pas souciés de ce qui se passait à l’extérieur, des attentes des gens. Je pense que lorsque tu es un artiste qui a un peu de succès, le danger, c’est de se dire : " Tiens, le public a aimé tel single, je devrais peut-être refaire le même genre de truc " ou encore " Est-ce qu’ils vont aimé ça ou le détester ? " C’est la meilleure recette pour faire de la merde. Il faut oublier qui est ton public et qu’il t’attend. je me suis toujours attaché à faire ce que j’avais vraiment envie de faire au moment où je le faisais et j’ai la chance que que des gens apprécient ma musique. The Fragile, c’est vraiment ce qui m’exitait, me stimulait, c’était mon challenge en tant qu’artiste : je pense que la seule façon d’être honnête, c’est d’ignorer la pression extérieure et de gérer sa pression interne. Et j’y suis parvenu.

Quel but t’étais tu fixé lors de l’écriture de The Fragile ?
Avant d’écrire The Downward Spiral, j’avais une sorte de storyboard assez rigide auquel je me suis conformé. Pour The Fragile, je n’avais aucune certitude, je ne savais pas bien ce que je voulais faire : je voulais repenser ma façon d’écrire des chansons, la façon de les orchestrer et de les faire sonner. Je voulais m’éloigner de la rigidité des machines. J’ai tout de suite su que ce disque s’appellerait The Fragile car c’était mon état d’esprit à ce moment-là. Je voulais faire un disque délicat, porteur de sens, et je crois que j’ai réussi. A tout moment tu sens que la musique peut se briser, partir dans n’importe quelle direction, elle est douloureuse, vieille, parfois désaccordée, mais en même temps, elle se tient, elle possède sa structure, son organisation. Je me suis beaucoup plus servi de vrais instruments parce qu’ils sont imparfaits, parce que tu peux entendre le crissement des cordes, parce que tu peux les désaccorder. J’ai installé un studio complet à la Nouvelle-Orléans, et j’ai eu recours à des ressources dont j’avais du me passer auparavant, et nous avons décidé de les utiliser pleinement : découvrir de nouvelles façons de faire des sons, de les façonner, tout cela pour être sûr de retranscrire une émotion globale. C’était ça la but, retranscrire un état d’esprit , un sentiment, une émotion, un contenu.

Il y a un gros travail au niveau de ta voix. Est-ce que ça a été l’une des parties les plus dures de l’enregistrement ?
C’est toujours avec ma voix que je suis la plus frustré parce qu’elle vient de moi, de l’intérieur de mon corps, et je ne peux pas y changer grand chose ! Je parlais plus haut du contenu émotionnel de la musique : si tu loupes avec le chant, tu rates complètement ton objectif. J’étais moins inhibé avec ma voix, cette fois, et j’ai pu me laisser aller à essayer des choses que je n’aurais pas osées par le passé. J’ai tenté de nouveaux types d’harmonies, de nouveaux styles de chant… On a beaucoup travaillé là-dessus, et c’est cool que certains le remarquent.

Pourquoi as-tu décidé de t’installer à la Nouvelle-Orléans ?
J’ai grandi en Pennsylvanie, au milieu de nulle part, et je n’ai jamais voyagé quand j’étais gosse. Quand le groupe a commencé à tourner, j’ai eu la chance découvrir l’Amérique et même l’Europe. Quand je me suis retrouvé pour la première fois à la Nouvelle-Orléans, j’ai tout de suite accroché : il y a une atmosphère très particulière ici, une énergie intéressante, difficile à définir, mais il y a quelque chose de vraiment intrigant. Il y a une sorte de côté obscur qui fait de cette ville la plus non américaine des villes américaines ! Géographiquement et en termes d’atmosphère, c’est ce qu’il y a de plus éloigné possible de la Pennsylvanie. J’ai vécu à la Nouvelle-Orléans quelques années après Pretty Hate Machine, puis, j’ai bougé à Los Angeles pour The Downward Spiral – J’ai détesté cette ville – et j’ai fini par revenir ici pour m’acheter une maison et y construire un studio. Je vais également me prendre un pied à terre à New York pour m’échapper un peu car je suis coincé à la Nouvelle-Orléans depuis quelques années maintenant et j’ai un peu envie d’aller voir ailleurs.

Tu n’es pas effrayé par New York ?
Un peu, mais j’ai toujours voulu y passer du temps, et je n’en ai pas eu l’opportunité plus jeune. Alors je vais franchir le pas.

Tu as enregistré The Downward Spiral dans la maison où les disciples de Charles Manson ont massacré plusieurs personnes, avec en point d’orgue, l’éventration de la femme de Roman Polanski, Sharon Tate, alors enceinte ; cette fois, tu as installé ton studio dans une ancienne morgue. Tu as besoin d’un environnement morbide pour te sentir à l’aise ?
(rires) Les médias ont monté l’histoire de la morgue en épingle, mais la vérité est bien moins glamour : nous avions besoin d’un immeuble avec de très grandes pièces et je n’avais pas envie d’en faire construire un ! Cette morgue n’était plus en activité depuis plus de dix ans, et nous avons pu installer tout notre matériel à l’intérieur. C’est ça la vérité. Je peux t’assurer qu’il n’y a pas de vibrations bizarres dans cette maison et que je n’ai pas entendu l’esprit des morts se manifester !

Comprends-tu pourquoi les hard-rockers adhèrent-ils tant à ta musique ?
Ah bon ? Tu es sûr (rires) ? il y a de l’agressivité dans ce que je fais, de la colère, de la passion et parfois de grosses guitares électriques, même si elles sont traitées de façon bizarre. Je ne saurais pas vraiment dire pourquoi les hard-rockers accrochent, mais je me plais à penser qu’ils apprécient l’honnêteté et l’intégrité de mon travail. Ce sont des valeurs que l’on retrouve dans le metal.

Tu aimes le metal ?
Pour être honnête, je ne m’y connais pas vraiment. J’ai travaillé avec Rob Halford et tout le monde me disait : " Woah, Rob Halford, le meta-god de Judas Priest ! " J’avais l’impression d’être le seul à ne pas connaître la musique de Judas priest ! j’ai travaillé avec lui parce que j’aime ce qu’il fait actuellement. Mais sincèrement, je ne connais pas grand chose en metal. Enfin… je connais Kiss, mais c’est une autre histoire (rires) !

As-tu apprécié de travailler avec Rob Halford ?
J’ai trouvé que c’était un homme très gentil, il écoute quand tu parles – ce que la plupart des gens ne font pas ! -, il est très intelligent et très sincère. Je n’ai que de bonnes choses à dire à son sujet.

Que penses-tu du résultat final de votre collaboration : l’album Voyeurs de Two.
Je pense qu’il aurait pu être meilleur. J’aurais aimé avoir plus de temps pour travailler dessus. Mais je ne pense pas que ce soit un mauvais album… En fait on bossait sur l’album de Manson, c’était Mardi gras, je me suis pointé au studio, et Rob Halford était là, il avait une cassette démo de ses nouveaux titres. On s’est assis pour écouter et je me suis dit : " Putain, c’est vraiment pas mal du tout ! " (NDLR : les démos prés Reznor de Two sont écoutables sur le net à l’adresse
www.two-online.com). c’était un peu plus cru que ce que tu as pu entendre sur l’album, et j’ai pensé que je pourrais rendre le tout encore plus agressif… lui avait une vision différente. Je pense que l’album représente seulement 80% de ce qu’il aurait pu être. Mais cela n’entame en rien le respect que j’ai pour lui.

Tu as longtemps travaillé avec Marilyn Manson. Es-tu déçu par ce qui est en train de se passer entre vous (NDLR : dans son livre, Marilyn Manson dépeint Reznor comme un voyeur manipulateur attiré par les femmes nazes. Figurent d’autres gentillesses que nous nous dispenserons de rapporter) ?
Oui, je suis très déçu. C’était un de mes meilleurs amis, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. Il y a des millions de raisons à ça… Est-ce que ça me rend triste ? Oui, vraiment. Je le respecte en tant qu’artiste mais en tant qu’individu, il m’a déçu.

Te sens-tu trahi ?
A un certain degré, oui : ton meilleur ami écrit un livre et te crache dessus, oui tu peux te sentir trahi. Est ce que j’ai des réponses à ses accusations ? Oui. Est ce que je sais ce qui s’est réellement passé entre nous ? Oui. C’est entre lui et moi, et peut-être qu’un jour, cette situation s’améliorera, mais aujourd’hui, je n’en ai vraiment pas envie.

Es-tu heureux que Robin Finck, qui était parti deux ans travailler avec Axl Rose, soit de retour au sein du line-up live de Nine Inch Nails ?
Oh oui, beaucoup. Lorsqu’il nous a quittés, nous venions juste de finir la tournée, nous étions cramés, et il m’a fait part du fait qu’il en avait assez de faire partie d’un groupe rock(NDLR : avant de rejoindre Guns N’Roses, Finck a été musicien pour la troupe canadienne du cirque du Soleil). Il était las. J’étais déçu qu’il s’en aille car je pense que c’est un grand guitariste. Mais il ets resté en contact avec Danny (Lohner, un des musiciens qui travaille avec Reznor) et j’ai fait transmettre à Robin le fait que j’aimerias vraiment qu’il nous rejoigne. Quelque temps plus tard, c’était fait. Actuellement, nous sommes en train de répéter pour le tournée qui commencera en novembre, et c’est vraiment intéressant : nous avons un nouveau batteur, Jerome Dillon, et son apport live est carrément terrible. Les anciens morceaux sont beaucoup plus agressifs et expressifs qu’ils ne l’étaient. Pour les nouveau titres, qui sont plus complexes, le fait d’avoir Robin de nouveau avec nous est un vrai plaisir.

As-tu vraiment cru que Robin Finck resterait dans Gun’s N’Roses ?
J’en sais sûrement moins que toi à propos de Guns N’Roses et de ce qu’ils sont en train de fabriquer ! Je ne connais pas très bien Axl, nous avons juste eu quelques contacts lorsque nous avons ouvert pour eux en 1991. C’est quelqu’un qui m’a semblé fan de ma musique, authentique et entouré d’un million de gens qui devaient distordre sa vision du monde. Je ne veux pas spéculer sur ce qui se passe dans son camp en ce moment, mais je lui souhaite le meilleur, qu’il sorte un grand album pour fermer la gueule de tout le monde. Je le souhaite vivement.

Penses-tu que, d’une certaine façon, Axl expérimente le même genre de problème de " déclenchement " artistique que tu as pu rencontrer en enregistrant The Fragile ?
Je peux seulement imaginer… Il s’est arrêté au moment où il était au top. Le meilleur moyen de ne pas faire un disque pourri, c’est tout simplement de ne pas faire de disque du tout ! C’est ce que j’ai pensé moi aussi à un moment. J’avais peur d’échouer, alors je me suis dit qu’en ne faisant rien, je ne raterais pas mon disque. Mais c’était un peu lâche et j’ai repris courage, j’ai réfléchi, j’ai apprit à mieux me connaître. En ce qui concerne Axl, je ne le connais pas assez pour t’en dire plus, mais je peux imaginer que nous avons partagé des sentiments similaires.

Gardes-tu un bon souvenir de ces shows en ouverture de Guns N’Roses ?
Non, c’était horrible ! C’était une situation bizarre. Nine Inch Nails devenait de plus en plus gros, nous avions des fans, ce que je n’avais imaginé une seconde en enregistrant Pretty Hate Machine. Axl m’a passé un coup de fil : il est le leader de plus grop groupe du monde, et il me demande si je veux ouvrir pour lui devant des foules de 80 000 personnes ? " Euh… Ok, Axl ! " Mais je n’ai aps assez réfléchi. Mettons les choses au point : Guns N’Roses, Skid Row, Nine Inch Nails. Le public nous a detestés, nous nous sommes fait jeter. Quand j’y repense, c’est assez amusant. Mais sur scène, ça ne l’était pas du tout !

Peux-tu me parler de ton side-project Tapeworm ?
Tapeworm est un truc dont nous parlons depuis longtemps, mais qui s’est perdu pendant que je faisais The Fragile. Aujourd’hui, ça reprend forme, il y a quelques titres de prêts. Le point de départ de Tapeworm, c’est une démocratie entre les membres de NIN, Danny Lohner et Charlie Clouser en particulier. Nous voulons faire quelque chose d’assez évident, de fun, sans pression, de la bonne musique agressive qui ne cadrerait pas avec Nine Inch Nails, moins réfléchie, plus spontanée. C’est un projet vraiment pour le fun. Nous voulons travailler avec différents chanteurs pour ce disque : Maynard de Tool et Phil de Pantera – Je suis fan de Pantera ! C’est un bon moyen d’échapper à la constante pression qu’il y a avec Nine Inch Nails.

J’imagine que c’est un projet à orientation très metal…
Oui, beaucoup plus " in your face " que Nine Inch Nails, le truc que tu peux écouter à fond dans ta voiture !

Quand sortira ce disque ?
En termes d’enregistrement, c’est actuellement notre priorité. Mais il y a la tournée NIN entre temps, donc je ne sais pas trop quand on va s’y mettre. Je pense néanmoins que ça devrait être disponible au printemps 2000.

Par Olivier Rouhet